LISE BARDOU

La procession des portes murées est une performance qui prend la forme d’une procession religieuse en l’honneur
du dieu romain Janus. Les Romains ont attribué à Janus un rôle vital dans la création du monde.
Selon Ovide, Janus portait le nom de Chaos à l’époque où l’air, l’eau, le feu et la terre ne formaient qu’une seule entité.
Janus est donc l’origine, la cause première du monde matériel tel que nous le connaissons.
De ce monde, il est le gardien céleste, celui qui ouvre et ferme le ciel - l’espace - et qui domine les jours - le temps -.
Sa double face lui permet de regarder simultanément l’Occident et l’Orient tout en gardant la connaissance du passé
et en envisageant l’avenir. Ses deux visages nous montrent également son rôle de gardien et de protecteur des seuils.
Il détient la capacité unique de voir à la fois l’intérieur et l’extérieur des maisons, les entrées et les sorties des portes.
Janus vit dans le franchissement primordial des limites de l’espace et du temps, il vit en transition. Il porte les attributs
de la clef et du bâton : celui qui ouvre et celui qui voyage. Dieu de tous les seuils, de tous les passages, il est l’ouverture
par laquelle la lumière pénètre dans les maisons.

La logique de l’activation iconoclaste et du rituel structure cette performance.
À partir de quatre lieux/portes obstrués, j’ai dessiné une «constellation» de Janus, matérialisant une carte des ouvertures.
À partir de ce mythe et du pouvoir symbolique de Janus, je me suis approprié ces espaces vides et fermés de
Lisbonne. La trajectoire rituelle retrace mon pèlerinage quotidien à travers la ville et fait face à un paysage urbain en
évolution constante.

La performance répond précisément à la voracité et au caractère provisoire de ce paysage progressivement privatisé.
Grâce à une procession collective, métaphorique et poétique, je tente de sauver la possibilité de réflexion et d’action
des habitants de la ville, qui ont toujours eu accés à ces espaces. La procession des portes murées a donc une dimension
politique, ouvrant ce qui par nature nous appartient collectivement - l’espace, l’habitat, le droit de vivre - sauvetage
poétique et évocateur d’une figure de libération et de transition.