LISE BARDOU
Transe et tarentisme
Maya deren
Joachim Koester
Matt Mullican
Hélio Oiticica
Joao Maria Gusmao & Pedro Paiva
Extrait introduction
Le passage.
Les lieux et les moments d’entre-deux.
Une danse,
Un chant,
Un état du corps.
Le corps vecteur, c’est lui qui danse et c’est par lui qu’intervient la transe, il est là, dans ces lieux et dans ces moments où la vie et la mort sont plus que jamais liées. Il se transforme, s’incarne et se réincarne. Il est le moyen de faire peau neuve, de mourir ou revivre. Ce que l’on peut appeler la danse magique ou sacrée comprend à la fois la question de la thérapie, celle de l’animalité et l’image sacrée qui s’en dégage, la croyance aux pouvoirs du corps et de l’animal, le corps en transe en tant que moyen de communication. Mais pourquoi et comment le corps s’anime et se met-il à danser ? C’est au travers de rituels, danses sacrées, danses populaires ou traditionnelles que je me suis posée la question du rythme et donc de la répétition. Cet extrait de L’épuisé de Deleuze résume ce qu’est le pouvoir du corps dans sa limite c’est-à-dire au moment de l’épuisement : « Le possible. Il en finit avec le possible, au-delà de toute fatigue, «pour finir encore». Dieu c’est l’originaire, ou l’ensemble de toutes possibilités. Le possible ne se réalise que dans le dérivé, dans la fatigue, tandis qu’on est épuisé avant de naître, avant de se réaliser ou de réaliser quoi que ce soit… » La répétition est un outil majeur, c’est l’épuisement du corps jusqu’à atteindre une sorte d’extase ou l’entrée en communication avec l’au-delà, un esprit, un saint. Le moment de transe est un moyen d’accéder au sacré, c’est un instant d’incarnation: dans la peau de l’animal, de l’être puissant et dangereux, celui qui pique, celui qui mord, celui qui tue, celui qui domine d’un moyen ou d’un autre notre corps, notre pensée et qui est l’apparence ou la représentation de nos croyances.
J’ai construit ce mémoire sur les bases du Tarentisme, qui comporte à lui seul tous les éléments qu’il m’intéresse de regrouper ici, la question évidente de la danse et du rythme, mais aussi celle de la thérapie, de la pulsion sexuelle et de mort, de la métamorphose ou de la renaissance et celle du corps vecteur, du corps passage, pas n’importe quel corps : celui de la femme. Mais comment et en quoi l’état de transe est-il une transformation/incarnation éphémère du corps, capable de s’extirper de sa fonction sociale, de son état maladif, vers le lieu autorisé de la pulsion sexuelle, de la pulsion de vie et de mort mêlées, de se hisser, le temps de la danse, à un état sacré, faisant communiquer vie et mort, incarnant les formes des croyances populaires, s’épuisant jusqu’à l’extase pour revenir enfin à l’état vivant sain, purifié par ce voyage ?
Malgré les différentes influences ou inspirations (qu’elles soient issues de Tarentisme, du Chamanisme ou du Vaudou), la sélection d’artistes et d’œuvres choisies questionne ce rapport à la spiritualité, à la magie, à la croyance, à l’identité sociale ou au corps possédé, au corps en transe. Les relations que l’on peut établir entre ces différents phénomènes sont aussi liées à une ancienne forme de thérapie, une confrontation, un duel avec la mort. Ce qui importe est d’en conserver le mystère et la croyance. L’ art est sans doute une autre manière de les faire vivre et exister sur un niveau de réalité différent. Quels intérêts plastiques représentent cette transformation ? Car il s’agit bien d’une représentation qui ne s’accomplit que par la présence de témoins. Comment peut-on réfléchir plastiquement cet entre-deux ? Et comment l’artiste donne-t-il lieu au corps pour inventer son propre rite et le rendre au regard.
Ce mémoire se présente en deux voix. De mes questionnements se libèrent deux parties, que je traite avec la même importance. La transe dans le rituel du tarentisme et la transe dans le rituel de l’art, impliquant la question de l’artiste et de l’antropologue, ce qui les lie et ce qui les distingue. J’ai choisi de consacrer toutes les pages de gauche à mes recherches et réflexions sur le tarentisme et toute mes pages de droite aux artistes qui ont d’une manière ou d’une autre travaillé sur les questions qui m’animent. Ce mémoire se lit en deux fois, mais le tarentisme et les oeuvres de Joachim Koester, Matt Mullican, Hélio Oiticia, Joao Maria Gusmao & Pedro Paiva et Maya Deren se répondent au travers du corps et du langage, de la féminité, de la théatralité, de la transformation et de la métamorphose ainsi que de l’incarnation. J’ai voulu donner à ce mémoire la forme d’un dialogue, d’un dédoublement, d’une double voix.
Introduction extrait
The passage.
Places and Times of in-between
A dance
A song
A body’s state of being.
The body is a vector; it dances and the trance appears through it. It is in these spaces and moments when life and death are more closely tied than ever. It can transform, embody other spirits and reincarnate itself. The body provides a way to start anew, to die or to live again. Magic or sacred dances merge aspects of therapy, animality (and the sacred images of animals). Ritual dances express belief in the power of the human and animal body and the communicative powers of the body in trance.
But why and how does a body start to move, to dance, to enter into trance?
Through rituals, sacred dances, popular and traditional dances, I approach the question of rhythm and the repetition it implies.
This extract of Deleuze’s L’épuisé summarizes what the power of the body is within its limits; that is to say, the point of exhaustion: The possible. The possible is done, beyond all fatigue, to «finish again». God is the origin, the sum of all possibilities. The possible can realise itself only in the derivative, in fatigue, whereas we are exhausted before we are born, before becoming ourselves, or doing anything at all... Repetition is a major tool, the exhaustion of the body to the point of ecstasy or entering into communication with the afterworld, a spirit, a holy spirit. The moment of trance is a way to access the sacred. It’s an instant of incarnation: in the skin of an animal, a powerful and dangerous being, one that stings, that bites, that kills, that controls our body, our thinking, that is the appearance or the representation of our beliefs.
I have based this thesis on tarentism which includes all the elements that interest me: dance, rhythm, therapy, sexual drive, death wish, metamorphosis and rebirth. It involves the question of passage, the body as a vector. Not just any body: the body of a woman. But how and in what way is the body in a state of trance an ephemeral transformation/incarnation, able to extricate itself from its social function, from its sickness, letting itself go toward sexual feelings and life and death instincts, able to reach just for a moment through dancing, a state of bliss where life and death are one. Taking the form of popular beliefs, exhausting itself in ecstasy and returning to a normal state purified by this journey?
In spite of different influences or inspirations (whether from tarentism, chamanism or voodoo) all of the artists and works herein have this relationship to spirituality, magic, beliefs, to social identity or to a body in trance. These different phenomena are also like an ancient form of therapy, a confrontation, a duel with death.
The importance is to maintain mystery and credence. Art is undoubtedly another way to make them exist on different levels of reality.
What visual interest does this transformation represent? Because it is indeed a transformation which can only be performed in the presence of witnesses. How can we visually conceive this in-between? And how can an artist invent a body for his own rituals? And how can it be shown?
This thesis is composed of two voices. My questioning gives rise to two distinct parts, given the same consideration: trance in the ritual of tarantism or art, anthropologist vs. artist, similarities and differences. I have chosen to devote all of the left-hand pages to my research and reflections about tarentism and all the right-hand pages to the different artists and their work. These two parts of my thesis can be read separately but the work of Joachim Koester Matt Mullican, Hélio Oiticia, Joao Maria Gusmao & Pedro Paiva and Maya Deren is intertwined with tarentism through ideas of the body as a language vector, femininity, theatricality, transformation, metamorphosis and incarnation. I wanted to give my thesis the form of a dialogue, a duality, a double form.